Pipriac – Saint-Ganton est l’un des dix territoires de l’expérimentation « Zéro chômeur de longue durée »
Le projet « Territoires zéro chômeur de longue durée », initié par ATD Quart monde sur une idée de Patrick Valentin (*), voté à l’unanimité par l’assemblée nationale, devient réalité. Dix territoires ont été retenus en France pour lancer l’expérimentation dont celui de Pipriac-Saint-Ganton en Ille-et-Vilaine. L’espoir de travailler à nouveau renaît et surtout, celui d’être considéré comme utile.
David, 40 ans, a tout essayé pour trouver du boulot… Pôle emploi, intérim, stages, formations… Cela fait cinq ans qu’il cherche, espère, quémande. A chaque fois, la même réponse négative. Tout avait bien commencé pourtant. CAP de maçon en poche, il trouve un emploi chez l’artisan qui l’avait formé en apprentissage. Les commandes affluent et les chantiers ne manquent pas. Jusqu’à la crise. Brutalement, David est licencié. Il a beau chercher aux alentours de cette petite commune d’Ille-et-Vilaine où il réside, plus personne n’a le cœur à l’embauche.
Alors, il devient artiste de rue, avec une petite troupe, modèle des ballons, anime des marionnettes et fait rire les enfants. Ça ne marche qu’un temps. Au hasard d’une rencontre, il trouve un nouvel emploi dans le bâtiment, cette fois comme coffreur-bancheur dans une entreprise de maçonnerie. Le métier est rude mais lui convient. David va tenir six ans jusqu’à ces premières douleurs qui apparaissent au genou, comme des brûlures. D’abord à droite, puis à gauche : « Je pensais que c’était lié au boulot mais c’est devenu de plus en plus douloureux. »
David, qui a alors la trentaine, consulte médecins et spécialistes, passe sur le billard…Le diagnostic reste flou et les douleurs persistent. Il est à nouveau licencié et fait une demande de reconnaissance de travailleur handicapé : « Je l’ai obtenue au bout de deux ans ! » C’est à nouveau la galère pour lui et sa compagne, qu’il vient de rencontrer. Chômage. Déménagement pour trouver une maison plus grande qui puisse accueillir le couple qui vient d’avoir son premier enfant. Heureusement, sa compagne, qui a le permis de conduire, a trouvé un emploi et fait des ménages. Naissance du deuxième puis du troisième enfant, installation à Pipriac, entre Rennes et Redon.
David en profite pour réapprendre à lire et à écrire : « Je voudrais bien passer mon permis mais il me faudrait une aide financière. Pour avoir une aide, il faut un emploi, pour avoir un emploi, il faut le permis… Il y a de quoi péter un câble ! » Il entend parler d’une formation de maître-chien qui l’intéresse à condition d’en payer une partie. Impossible : « On n’était pas assez nombreux à s’inscrire alors on nous a dit que ce n’était pas rentable. »
Au bord du désespoir, David s’accroche, continue d’éplucher les offres d’emploi : « On m’a proposé de travailler comme chauffeur-routier, alors que je n’ai pas le permis ! On m’a proposé des offres dans le bâtiment alors que je suis en invalidité, un boulot de maraîcher alors que je ne peux pas tenir à genoux ! J’ai dû avoir à faire à une douzaine de conseillers emploi différents et à chaque fois, il faut tout recommencer. Raconter son histoire avec cette sensation d’être sans cesse jugé ». En cachant sa maladie et taisant la douleur, il fait plusieurs petits boulots, intérim, remplacements.
Depuis 2011, plus rien : « Pas un seul emploi ou rien qui ne me corresponde. J’ai fait toutes les recherches possibles. Ma femme a aussi perdu son travail. Avec nos trois enfants, on n’a que 1000 € pour vivre. Il ne reste pas grand-chose en fin de mois… On leur a appris à ne pas dépenser, à rêver juste le minimum… » La déprime s’installe jusqu’à cet appel de Denis Prost en 2014 : « Il nous a parlé d’un projet sur Pipriac et Saint-Ganton, Territoire Zéro chômeur de longue durée. Vous vous rendez compte : redonner du boulot à tous ! Ça nous redonne plein d’espoir. »
Ils sont près de quatre-vingts comme David à avoir connu le chômage, les files d’attente, les récits de vie mille fois comptés, les espoirs déçus, les regards suspicieux de l’entourage…. Ils sont près de quatre-vingts demandeurs d’emploi devenus fièrement « chercheurs » d’emploi, à se rassembler autour de ce projet naissant de Territoire zéro chômeur de longue durée : « Non, ce n’est pas le travail qui manque ! atteste Claire Hédon, présidente d’ATD Quart monde. Non, les chômeurs ne sont ni fainéants, ni assistés. Peut-être faut-il changer notre regard et aussi nos modes d’action pour transformer les dépenses passives en dépenses actives ! »
L’idée est totalement utopique. Et pourtant, la voilà qui prend corps cette année dans dix territoires expérimentaux de France dont celui de Pipriac et de Saint-Ganton. Il y a bien longtemps qu’ATD Quart monde affirme qu’il est possible de faire de l’emploi un droit pour tous. Pourtant, la dynamique a mis du temps à se concrétiser.
Las des tergiversations, ATD Quart monde prend le risque en 2014 d’encourager les territoires intéressés à se lancer dans l’expérimentation « Territoires zéro chômeur de longue durée ». Le cadre légal nécessaire est loin d’être acquis mais qu’importe : chacun espère l’obtenir de cette manière ! Quatre territoires se profilent en France dont celui de Pipriac-Saint-Ganton : « Chacun y trouve son compte, argumente Denis Prost, alors membre de l’équipe nationale d’ATD Quart monde, bien décidé à s’engager sur le territoire breton. L’idée est d’offrir un nouveau droit. On ne force personne à travailler, tout est fondé sur le volontariat. »
De juin à septembre 2014, de nombreuses rencontres ont lieu sur Pipriac et Saint-Ganton. Le PAE, point accueil emploi, dont Franck Pichot, vice-président du conseil départemental, est le président, souhaite fortement porter la démarche. Une première rencontre réunit une trentaine de responsables d’entreprises. Il faut expliquer et faire face aux questions : « Vous ne trouverez jamais 20 chômeurs qui acceptent de travailler ! C’est encore de la dépense publique qui va coûter cher à la société et aux entreprises ! Il vaut mieux baisser les charges des entreprises pour qu’elles embauchent ! » A force de persuasion, à force aussi de rencontres directes entre chercheurs d’emploi et chefs d’entreprise, le regard évolue peu à peu. Emerge une compréhension mutuelle.
De novembre 2014 à mars 2015, un important travail est mené pour repérer les demandeurs d’emploi. Le PAE relaie l’information ainsi que les maires des deux communes qui envoient un courrier personnalisé, le CPIE de Saint-Just, les associations locales, les travailleurs sociaux…. Ce sont finalement quelque cent-vingt personnes qui sont rencontrées individuellement et acceptent ensemble de relever le défi : « Pas de sélection ! précise Denis Prost. Nous ne listons que les compétences, les motivations, les savoir-faire et les acquis. »
Parallèlement, sont identifiés par les chercheurs d’emploi, les élus, les entreprises, les associations et les habitants tous les travaux utiles à réaliser : des bancs et un cheminement de promenade autour de l’étang, une aide aux enfants pour traverser la rue devant l’école, des petits services du quotidien pour les personnes âgées à faibles revenus, des activités de réparation pour améliorer la seconde vie des objets… : « Tous, collectivement, nous devenons co-constructeurs de l’entreprise en devenir. »
Avril 2015. Tandis que les territoires bouillonnent d’impatience, le niveau national tarde à s’éveiller. Alors, de concert, les territoires en mouvement décident de se rendre à Paris pour faire entendre leur voix. Ce jour-là, dans le car qui quitte Pipriac, chercheurs d’emploi et chefs d’entreprise sont coude à coude. Et ça discute ferme ! « Non, les chômeurs ne sont pas tous des fainéants ! Non les patrons ne sont pas tous des exploiteurs ! »
« Ce voyage en car a été pour moi un déclic, confie Jean-François Bertin, marbrier à Pipriac, je n’oublierai jamais cette manifestation à Paris qui m’a ouvert les yeux. Nos préjugés nous aveuglent. J’ai découvert des gens plein de compétences, de motivation et de bonne volonté, mais qui sont face à un mur et qui ne trouvent pas de travail. »
C’est la fierté du territoire qui s’affirme dans les rues parisiennes, écharpes tricolores des élus en tête : « Nous pouvons innover et trouver des solutions face au problème du chômage, là où la capitale patine depuis des années ! » Une délégation est reçue à l’Assemblée nationale. Chacun repart confiant. De retour, chefs d’entreprise et chercheurs d’emploi rejoignent le comité de pilotage du projet qui y trouve un second souffle… En juillet 2015, une pré-proposition de loi est élaborée. Une délégation parisienne vient à la rencontre des acteurs des territoires pilotes. Beaucoup de craintes tombent. En novembre, le Conseil économique, social et environnemental présente son rapport avec les conditions de réussite de l’expérimentation.
Le 28 octobre 2016, les candidatures officielles sont déposées. Dix territoires sont retenus. A Pipriac et Saint-Ganton, l’entreprise TEZEA voit le jour, association soumise à l’impôt, chargée d’embaucher à compter de janvier 2017. Elle est aujourd’hui co-dirigée par Guillaume Bonneau et Serge Marhic. Le Point accueil emploi reçoit en entretien les personnes candidates, privées d’emploi depuis au moins un an, repère les compétences et vérifie les critères d’éligibilité. Il transmet les candidatures à TEZEA qui procède à l’embauche, après un entretien pour confirmer les compétences et savoir-faire des personnes et faire le lien avec les activités disponibles.
La personne devient salariée en CDI tout en restant inscrite dans une catégorie particulière créée par Pôle emploi pour continuer à bénéficier de certains services et évoluer vers un autre emploi en fonction d’opportunités futures sur le marché du travail : « Toutes les personnes volontaires sont recrutées sans sélection. En contrepartie, le Fonds verse à TEZEA un certain montant par an, pour chaque personne embauchée. Chaque territoire est libre de demander au Fonds le montant qui lui parait nécessaire et dont il a besoin pour équilibrer son entreprise en fonction du montant des heures de prestations vendues, dans le principe d’une solidarité entre territoires. »
Peuvent acheter les prestations, les collectivités, les entreprises mais aussi les particuliers. TEZEA a aussi ses activités propres en ateliers afin de générer elle-même des heures de travail, sur la base de 35 heures par semaine. « Tous les voyants sont au vert,estime Denis Prost, devenu responsable opérationnel du projet. A charge maintenant pour TEZEA, et tous ses partenaires, de trouver les activités en fonction des compétences des candidats. Bien sûr, les personnes doivent rester ouvertes à toutes les opportunités d’emploi durable qui peuvent se présenter en dehors de TEZEA. Mais tant qu’elles n’ont pas trouvé, elles restent dans TEZEA… Il n’est pas question qu’elles retournent au chômage ! »
« Ce projet, souligne Karine, « chercheuse d’emploi », nous l’avons construit ensemble. Au fil des mois, nous avons appris à nous connaître, nous savons les différentes attentes de chacun et les galères traversées. Mes compétences correspondent aux attentes des « fonctions support » de TEZEA, accueil, contact clients, comptabilité… Des tâches que j’ai apprises et que je sais faire en partie. J’ai pu continuer à me former à la Maison familiale de Guipry-Messac. Nous sommes tous remplis d’espoir et tous solidaires, à fond à 100 %. C’est tellement de valeur personnelle retrouvée. Enfin, on va se sentir utile. »
« Ce qui est formidable, ajoute David, c’est que les patrons sont associés avec nous et c’est une sécurité pour les cinq ans de l’expérimentation. Avec ma femme, on est vraiment confiant. Nous aurons un salaire équivalent au SMIC. Vous vous rendez compte : je vais passer de 400 à plus de 1000 euros par mois ! J’ai tellement hâte de sortir à nouveau de la maison, d’aller travailler, de ne plus compter sur l’argent du chômage pour vivre sans savoir si les droits sont renouvelés ou pas. C’est infernal comme situation. On ne peut jamais faire de projets. On attend sans jamais savoir si on peut offrir quelque chose à nos petits. On se fige, on survit. En plus des emplois que ce projet va créer, c’est aussi plus d’entraide sur le secteur. J’ai retrouvé l’espoir que j’avais avant. »
Tugdual Ruellan
La Loi n° 2016-231 du 29 février 2016 d’expérimentation territoriale visant à résorber le chômage de longue durée dessine une autre voie dans la lutte contre le chômage de longue durée « en réaffectant les coûts dus à la privation durable d’emploi pour aider à financer de manière pérenne des emplois, socialement utiles, pour les territoires et non concurrentiels avec ceux existants localement ». Elle permet de créer un fonds national. Elle définit le cadre de l’expérimentation et la mécanique du projet. Elle qualifie un comité scientifique chargé du suivi.
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Le Fonds d’expérimentation territoriale contre le chômage de longue durée
En juillet 2016, a été créé le Fonds d’expérimentation territoriale contre le chômage de longue durée. Il est présidé par Louis Gallois qui a tour à tour dirigé la Snecma, l’Aérospatiale, la SNCF, EADS, Airbus ; il est aussi président de la Fnars depuis 2012. A titre bénévole, il accompagne le déploiement de la loi d’expérimentation et veille à son efficacité. Il est soutenu par Michel de Virville, vice-président, connaisseur des questions sociales, après avoir occupé notamment les fonctions de conseiller-maitre à la Cour des comptes et de secrétaire général du groupe automobile Renault.
Constitué en association, le Fonds est administré par un conseil d’administration réunissant des représentants de l’État, des organisations syndicales de salariés et d’employeurs, des associations de collectivités territoriales, des parlementaires, des comités locaux et autres organismes publics impliqués dans le dispositif. Il est chargé d’amorcer le projet et de mettre en place les outils nécessaires à la réalisation de la loi d’expérimentation, en lien avec les équipes opérationnelles, les comités locaux de pilotage et les entreprises « à but d’emploi » qu’il va conventionner et cofinancer. Lire ICI.
Patrick Valentin, dont on peut retrouver ce portrait-interviewsur Histoires Ordinaires, est, dans les années 90, responsable du Réseau emploi-formation d’ATD Quart monde. Il est persuadé qu’il y a en France une multitude de travaux à effectuer, insuffisamment rentables pour que l’économie ordinaire s’y intéresse et crée des emplois pour les effectuer. « Nous n’avons pas pris en compte, confie-t-il en octobre 2015 à Histoires Ordinaires, tout le potentiel que représente la libération du travail contraint. Puisqu’on s’en libère, en mettant des robots, profitons-en pour faire du travail utile. Nous sommes masochistes, un masochisme soigneusement étudié qui arrange les plus riches, comme toujours. On pourrait faire beaucoup mieux, on en a les moyens.
Des travaux contraints sont hyper lucratifs alors qu’ils sont éventuellement malsains, et des travaux utiles ne sont absolument pas rémunérés alors qu’ils sont d’une très grande valeur. Il y a un divorce entre le contraint et l’utile (…) Vous avez des gens qui savent travailler, du boulot utile tant et plus et de l’argent qui dort au sens économique : il sert à soutenir de façon très onéreuse pour la collectivité et de façon très médiocre pour les personnes, les gens privés d’emploi. Cela coûte 15.000 à 20.000 € par personne et par an à la collectivité, alors que vous avez des gens qui ne demandent qu’à travailler et plein de boulots utiles à faire (…) Imaginons un peu que toutes les administrations se mettent à phosphorer ensemble pour tenter le pari ? »
Mais comment passer d’un système contingenté, comme nous savons si bien en produire en France, à un système décontingenté dans lequel on crée autant de places qu’il y a besoin d’emplois pour des personnes au chômage en affirmant que le coût pour la collectivité ne sera pas plus élevé ? Comment faire en sorte que l’argent apporté d’un côté soit économisé de l’autre ? Comment déplacer les 15 000 à 20 000 € du chômage (allocations, manque à gagner, coûts induits…) pour créer ces nouveaux emplois ? Patrick Valentin lance une première expérimentation, vite limitée pour des raisons légales et techniques. En 2011, il relance l’idée d’une expérimentation « Territoires zéro chômeur de longue durée ».
Objectif : pouvoir proposer à tous les chômeurs de longue durée d’un territoire un emploi adapté à leurs compétences, à temps choisi. Le principe : créer ou s’appuyer sur des entreprises solidaires pour créer des CDI au Smic. Financer ces emplois supplémentaires en réorientant les coûts de la privation d’emploi vers le financement d’un marché du travail nouveau et complémentaire. Un préalable : ne répondre qu’à des besoins des territoires non satisfaits, sans se substituer aux emplois existants. ATD Quart monde est séduite, elle qui se bat depuis des années pour que personne ne soit laissé de côté.
Les cerveaux phosphorent. Les rencontres se multiplient avec syndicats, patronat, élus, ministères, secteur de l’insertion par l’activité économique… mais rien ne bouge. Le gouvernement renvoie les militants vers une administration statique, cherchant davantage à sauver et à aménager l’existant plutôt qu’à créer et à innover. Quelques députés montent au créneau comme Jean-René Marsac, député de Redon, ancien président et secrétaire général de la Coorace, Coordination des associations d’aide aux chômeurs par l’emploi, délégué à l’économie sociale et solidaire au Conseil régional de Bretagne, ou Laurent Grandguillaume, député de la Côte-d’Or, spécialiste des questions liées à l’entreprise. Il faudra attendre 2017 pour que l’utopie de Patrick Valentin devienne réalité.
Sources : https://www.histoiresordinaires.fr/